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Paris 2024 : l’escalade, ce sport que quelques pionniers refusaient de voir transformer en compétition

Antoine Le Menestrel n’a pas oublié l’année 1985. Cette époque où il grimpait le week-end, dans le Verdon (Alpes-de-Haute-Provence, Var) ou au Saussois (Yonne), avec un cercle d’amis. L’escalade était alors indépendante du monde olympique. Les salles urbaines, qui poussent désormais comme des champignons, n’existaient pas. On était très loin des 25 millions de pratiquants recensés actuellement dans le monde.
Avec son « gang des Parisiens », Le Menestrel grimpe, campe, chaîne hi-fi posée sur la roche. « Liberté » est alors le mot d’ordre. « On était opposé à la conquête des sommets, se remémore celui qui est aujourd’hui danseur de façade et chorégraphe. Tout était horizontal entre nous : il y avait de l’émulation, pas de rivalité. »
En 1985, pourtant, le potentiel sportif de l’escalade transparaît déjà, et la Fédération française de la montagne et de l’escalade envisage de mettre en place de premières compétitions. Une évolution dénoncée par le « gang » et d’autres grimpeurs dans le « Manifeste des 19 », un texte rédigé par David Chambre et publié dans la revue spécialisée Alpinisme et Randonnée.
« Pour nous, l’escalade consistait à résoudre un problème posé non pas par quelqu’un, mais par le rocher ou par une falaise », se remémore Jean-Claude Droyer. « On était aussi contre les épreuves sur un milieu naturel avec un public et des voies neuves, qui détruiraient des rochers, poursuit Catherine Destivelle, 25 ans à l’époque et déjà une belle renommée. On n’avait pas non plus envie d’une grimpe à la russe, c’est-à-dire en vitesse. Ce n’était pas adapté à notre pratique de libre. » Rivalité, rôle de l’argent, potentielle influence des médias… La liste des griefs est longue. « Pour nous, ça n’était rien que du fric », résume Antoine Le Menestrel.
Et après ? Pas grand-chose. Seule l’enseigne Au vieux campeur annule une épreuve qu’elle finance pour apaiser les tensions. Très vite, la réalité fige la révolte. A Bardonecchia, dans la tiédeur estivale du Piémont, la pionnière des épreuves internationales de difficulté consacre Catherine Destivelle. Jean-Baptiste Tribout, l’un des signataires du « Manifeste », participe, quant à lui, à diverses rencontres dès 1986 et cumule les performances. « Ma position était ambiguë, car j’étais professionnel », nuance-t-il.
Un cliché datant de cette année-là résume l’ambivalence : la bande réunie par son sponsor Beal, un fabricant français de cordes d’escalade. « On a vraiment retourné notre veste au sens propre, sourit David Chambre. On était jeunes et idéalistes, mais au fond, on savait que ce texte allait contre le sens de l’histoire. » Patrick Edlinger (1960-2012), qui était alors la grande star de la discipline, ne s’était, lui, pas joint à l’initiative. Pour mieux participer aux premières compétitions.
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